Au cœur d’une étude

Je vous propose de vous mettre dans la peau d’un homme qui participerait à l’étude européenne, étude la plus « favorable » au dépistage.

Imaginez  2 groupes de 12 500 hommes âgés de 55 et 69 ans ; un groupe où l’on va dépister le cancer de la prostate et l’autre non.

Vous faites partie du premier groupe. Tous les 2 ans on vous fait une analyse de sang pour mesurer les PSA et parfois un toucher rectal, si vous êtes " tendance angoissé " ce n’est pas un moment marrant et l’attente du résultat est parfois un peu flippante. Mais bon, vous n’êtes pas trop inquiet et le résultat est négatif. Le temps passe et on vous refait l’analyse et là patatras ! : Vous faites partie des 1100 hommes qui vont avoir des PSA élevées.

Merde alors ! C’est comme ça, faut accepter. On vous propose alors de faire une biopsie de la prostate, comme 994 autres, vous acceptez, faut bien savoir ! Une biopsie ce n’est pas marrant, d’abord la diète et le lavement du rectum puis l’anesthésie locale le tuyau dans le rectum et la biopsie proprement dite ! Ca saigne un peu mais vous êtes quand même content car vous ne faites pas partie des 7 qui auront une infection grave de la prostate qui nécessitera une hospitalisation avec des antibiotiques (parfois on en meurt mais c’est très rare). Là vous avez beau être cool, vous passez quelques jours d’attente angoissants, le résultat tombe : négatif, ouf ! Super, votre urologue vous rassure mais vous demande de revenir dans 2 ans si tout va bien et si les PSA n’augmentent pas trop, ah bon ! On continu à faire les PSA ? Et oui au moins tous les 6 mois ! C’est pénible mais il faut bien faire des sacrifices pour rester en bonne santé, vous vous dites que le jeu en vaut la chandelle !

Déjà 2 ans, ça passe vite. Mais bon comme on dit : « Vous êtes jeune, vous avez une espérance de vie supérieure à 10 ans ! Allez, ce n’est pas la mer à boire ! " On recommence le même protocole biopsie, attente et là re-patatras ! : Les biopsies sont positives.

Ca y est vous êtes cancéreux, les boules ! " J’ai un cancer ! "

Après l’abattement, votre entourage, vos médecins vous rassurent, vous avez quand même bien fait de chercher, on aurait pu passer à travers et vous seriez certainement mort de ça ! C’est juste ! Vous soufflez un bon coup et vous vous rendez chez l’urologue. Vous êtes quand même 325 à y aller dans votre groupe, 325 sur 12500 c’est pas mal. Vous avez une pensée pour votre ami Hervé qui fait partie de l’autre groupe !... Celui où l’on ne dépiste pas.

Là l’urologue ne plaisante pas : " Monsieur Francis, vous êtes jeune. " Vous, vous dites que 61ans ce n’est pas si jeune, bientôt la retraite en Bretagne!

Il insiste: " Vous n’avez pas d’autres problèmes de santé importants et en plus vous avez arrêté de fumer depuis 3 ans». C’est vrai : " C'était quand mes PSA ont augmenté ! "

" Monsieur, il faut que je vous enlève cette prostate, c’est la bonne solution, bien sûr d’autres dans le groupe vont bénéficier d’une radiothérapie ou d’une hormonothérapie mais ils sont plus vieux et plus mal en point, et franchement ça marche moins bien que d’enlever la prostate " " Il faut que je réfléchisse docteur."

" Vous avez raison, réfléchissez ! "

Vous : " Tu parles " réfléchir ", je pense qu’à ça et en en même temps je n’arrive pas à prendre du recul, on me l’enlève et puis après je sais qu’il y a des suites pas si marrantes. Bien sûr qu’il n’y a pas que le sexe dans la vie mais quand même ! et les couches ! "

Nouveau rendez-vous chez l’urologue, votre femme vous accompagne, elle est aussi angoissée que vous, elle vous aime ! Devant votre hésitation l’urologue se veut rassurant et déterminé. Bien sûr qu’il y a des risques mais il y a aussi des solutions !

Vous acceptez.

La prostatectomie ce n’est pas rigolo ! On endort, on opère par le ventre, votre urologue passe en cœlioscopie, c’est moins moche, le problème c’est que votre prostate, comme toutes les prostates, est située dans un endroit pas simple :

D’abord il y a l’urètre, c’est ce canal qui part de la vessie jusqu’au bout de la verge, la prostate l’entoure à sa base et a un rôle de sphincter en empêchant les fuites d’urines quand la vessie se remplie. Si on touche à la prostate on a un gros risque d’avoir une incontinence urinaire.

Et puis il y a les bandelettes neurovasculaires, elles commandent l’érection, elles sont collées derrière la prostate et c’est presque mission impossible de bien enlever la prostate sans y toucher.

L’impuissance est donc une conséquence très fréquente de l’ablation de la prostate.

Votre urologue a été persuasif et son dernier argument vous a décidé : le service vient de se doter du robot américain, le roi de l’ablation !

La veille de l’opération vous avez du mal à trouver le sommeil, ce n’est pas facile d’accepter la perte de son intégrité, vous vous rappelez la dernière nuit où vous avez fait l’amour, vous avez terminé la nuit blotti dans les bras de votre femme. Au matin, elle vous a dit qu’elle tenait tellement à vous, qu’elle vous aiderait à passer ces épreuves. Malgré tout vous appréhendez votre futur, difficile de concevoir cette perte possible de la virilité, et les couches ! Finalement vous vous endormez.

On ne vous l’a pas dit mais malgré toutes ces précautions il y aura quand même 39 morts du cancer de la prostate dans ce groupe. Et oui, malgré l’ablation, il reste des bouts de prostate, parfois des métastases locales ou générales qui font que le cancer n’est pas toujours guéri définitivement.

Dans le groupe d’Hervé, on ne s’enquiquine pas avec tout ça, d’après l’étude il y aura 7 morts de plus, soit 46 sur 12 500, c’est un peu plus bien sûr mais la qualité de vie dans ce groupe peut paraitre tellement meilleure. De plus cette étude montre qu’il y aura plus de décès dans les 7 premières années parmi les hommes dépistés.

N’oublions pas l’autre étude(PLCO), imaginez le scénario avec le même nombre de morts voir un peu moins chez les non-dépistés ! C’est le scenario terrible, vous avez tous les tracas, vous perdez votre virilité et en plus vous ne gagnez rien en espérance de vie ! (On a presque envie que l’étude européenne soit la bonne, eu égard aux patients traités !)