7 Formation continue : les experts

« Cancer et pathologie non cancéreuse de la prostate : du dépistage à la prise en charge au plus près des recommandations »

Printemps 2010

Si j’avais eu des doutes quant à l’intérêt de mon enquête, ce stage de 2 jours dans le cadre de la formation continue allait me les lever. Ce stage a été d’une richesse étonnante :

Je m’étais dit que j’allais observer les réactions des médecins devant la contradiction entre la pratique courante qui est celle du dépistage et les recommandations des instances reconnues (haute autorité de la santé, Institut national du cancer) J’avais envie de voir le processus de réflexion en route et comment les animateurs allaient pouvoir faire exprimer les difficultés que l’on peut avoir à changer sa pratique. Pas du tout, j’ai assisté à un stage où tout était fait pour ne pas soulever la question de fond .quel gâchis !

Les participants 18 médecins généralistes : 4 femmes ,14 hommes. L’encadrement : 5 médecins généralistes homme dont 1 expert et une femme expert urologue. Durée du stage : 2jours

Le médecin généraliste expert démarre par un exposé rapide (5 minutes montre en main) sur les 2 grandes études dont les résultats intermédiaires ont été publiés en 2009. "Comment faire ce que l’on ne devrait pas faire": Puis notre expert généraliste nous explique pendant 20 minutes quand et comment faire un dépistage par le dosage des PSA et le toucher rectal.il nous explique que le dosage des PSA n’est pas un test spécifique ;que si celui-ci est augmenté ça veut peut-être dire qu’il y a un cancer sous-jacent mais peut-être pas et qu’il faudra faire des biopsies de la prostate pour confirmer le diagnostic ,que le toucher rectal n’est pas absolument nécessaire au dépistage mais il permet de sentir des prostates anormales .Puis il passe la parole à l’expert urologue.

"La fuite en avant": Dès sa première intervention, l’urologue nous prévient : « Il est trop tard pour faire machine arrière, le dépistage c’est parti. » Voila la discussion est close avant d’avoir été entamée, on n’a donc même pas besoin de réfléchir à la pertinence du dépistage. J’en reste pantois, aucune réaction dans la salle, et notre spécialiste d’enfoncer le clou :

« La problématique n’est pas le dépistage mais ce qu’on en fait »

Voila qui est joliment dit, on ne discute pas du dépistage mais seulement des conséquences et des possibilités thérapeutiques. Et pour encore mieux éviter toute réflexion voici un petit coup de moral :

« Un homme de 54 ans qui a des PSA élevées et un TR anormal, si on ne fait rien je suis sûr qu’il meurt avant 59 ans, je suis catégorique, il faut le surveiller et faire des biopsies »

Tout cela dit en faisant fit des prérogatives de l’H.A.S. qui rappelle qu’il n’est pas évident qu’un dépistage soit utile. Et notre experte continue :

-« On a pas le droit de ne pas doser les PSA à partir de 50 ans ». Et voila la culpabilisation ! Puis pour adoucir le discours, elle sort un nouveau concept :

« La surveillance active » : on contrôle (PSA tous les 3 mois), on surveille, on mesure (biopsies tous les 1 ou 2 ans) et on attend patiemment (si les PSA augmentent trop on intervient); bien sûr ce concept est mis en opposition avec le précepte du non dépistage qui revient à dire : « abstention de surveillance ». Revenons à notre spécialiste, elle nous demande si nous sommes tous d’accord avec la nécessité de pratiquer les PSA, un « oui »consensuel fait de mouvement de tète du haut vers le bas gagne la salle .N’entendant pas de réaction, j’interviens et dit que bien sûr que non puisque les études notamment les 2 dernières n’ont pas montré d’intérêt flagrant ….2 médecins expriment alors aussi un doute.

CONTRADICTION ET SUBJECTIVITE J’ai discuté avec notre expert généraliste à la pause déjeuner: Moi-« ne trouves-tu pas que c’est disproportionné de parler pendant 5 minutes seulement des études puis pendant 20 minutes sur le PSA et de la manière de conduire un dépistage, ne trouves –tu pas que c’est montrer clairement aux stagiaires que le choix est fait pour le dépistage ?

Lui- je n’avais pas beaucoup de temps.

-Mais la contradiction entre les recommandations officielles et l’explication minutieuse du dépistage ne te saute pas aux yeux ?

- tu a raison . -ça me parait tellement important d’évoquer les résistances des médecins et d’approfondir cette idée du doute, comment ne pas parler de psychologie et de sexualité, comment ne pas parler de la formation des médecins qui ont été éduqués à diagnostiquer et traiter et non pas à ne pas diagnostiquer et ne pas traiter.

- ce n’est pas le lieu pour parler du changement de comportement, il y a d’autres stages pour ça, ici on veut surtout que les médecins comprennent les différentes phases du dépistage et les différentes thérapeutiques qu’ils vont rencontrer dans leur travail. - mais si tu ne le fais pas ici, c’est une occasion ratée, qui ira faire ensuite un tel stage ? C’est là, maintenant que tout se joue ! »



A table !