Je me souviens d’un rendez-vous particulièrement émouvant. Lors d’une de mes gardes, j’avais reçu un homme de 56 ans qui présentait une gêne urinaire. C’était un bel homme, chez qui on ressentait une grande dignité et une certaine retenue. En m’exposant son problème il m’avait prévenu qu’il avait été opéré d’un cancer de la prostate 2 ans plus tôt, cancer découvert suite à un dépistage. Il était là, en slip, attendant mon examen. J’éprouvais une grande confusion: cet homme n’aurait jamais du se retrouver allongé sur cette table d’examen. Et moi, qu’est-ce que j’avais fait pour le prévenir ? Bien sûr j’avais crié ma tristesse au «Monde », mais il était là. Je comprenais sans en parler que cet homme portait courageusement une blessure profonde. Je posais mes mains sur son ventre, et descendais vers le pubis provoquant une douleur au niveau de la vessie. Il avait une infection urinaire, probablement liée à son opération. Ai-je eu raison, ai-je eu tord, mais après avoir parlé diagnostic et traitement, j’évoquais mes doutes sur l’intérêt du dépistage. Sa réponse fut gestuelle. Il me regarda dans les yeux en levant légèrement ses paumes des mains vers le haut et en soulevant les épaules. Cet homme était devenu impuissant.